Petite histoire de la notion d'inventaire des collections dans les musées

 
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Bête noire de tous les musées, l’inventaire des collections est pourtant un passage obligé pour donner un statut légal aux objets dont ils ont la charge. Revenons un peu sur l’histoire et la méthode à appliquer pour réussir cette mission délicate !

A/ L’inventaire des collections, qu’est-ce-que c’est ?

          Réaliser l'inventaire des collections n'est pas une notion contemporaine. Si on se penche sur l'histoire des inventaires, on constate que la volonté de gestion et de  description précise des objets de collections, remonte à l'époque moderne.

            L'administration en charge de la Maison du Roi, réalisait, lors de chaque règne, des « Inventaires généraux des Maisons Royales » de manière typologique (peintures, sculpture, mobilier). Associés aux inventaires de chaque résidence, au journal de livraison du garde meuble (l'administration chargée de l'ameublement de toutes les demeures royales) et aux comptes des bâtiments du roi, cet ensemble de sources manuscrites, conservées aux Archives Nationales, donne un état précis des collections à une date précise. Ces travaux étaient confiés à des professionnels de chaque spécialité, capables d'évaluer l'état des collections, leurs dates approximatives, leurs modes d'acquisition et même éventuellement la collection dont elles sont issues (Mazarine, Richelieu) [1].

          La naissance d'une conscience patrimoniale après les vandalismes révolutionnaires qui marquèrent les années qui suivirent les événements de 1789, va épargner des éléments de ces collections devenues des symboles de la monarchie d'Ancien Régime. Ainsi, les départements sont chargés d'inventorier et d'assurer la conservation de leurs biens. Le Musée des Monuments français du célèbre Alexandre Lenoir, situé au couvent des Petits Augustins à Paris, est créé en 1791 et s'emploie à freiner cet frénésie iconoclaste à l'encontre de la monarchie et du clergé[2]. Un inventaire minutieux des collections y fut réalisé. Le 27 juillet 1793, un décret de la Convention crée simultanément le Museum central des Arts au Palais du Louvre et le Museum national d'Histoire naturelle au Jardin des Plantes, où un énorme travail de catalogage est effectué . Ces « premiers » musées donnent un aperçu de la naissance du concept de gestion des collections[3], Le principe d'inventaire des collections continue et à chaque règne, une nouvelle liste descriptive est dressée, avec sa propre numérotation, sans volonté de concordance ou d’homogénéité avec les précédentes.

          Une tournant est marqué avec le Senatus Consulte du 12 décembre 1852 et le décret impérial du 25 janvier 1854, ordonnant de dresser l'inventaire général des collections du Musée Impérial. Le département des Antiquités du Louvre a quant à lui entrepris trois inventaires successifs, en 1857, 1859 et 1870. Le premier présente une volonté de continuité, notamment dans la numérotation, avec l'inventaire des musées royaux réalisé en 1816, et est reconnaissable par les célèbres marques rouges sur les objets. D'autre part, cet inventaire est doté d'un renvoi au répertoire Claral, la liste des œuvres d'art présentes à Versailles et aux Tuileries[4]

          Depuis la création de la fonction d’Inspecteur des Monuments Historiques en 1830 par François Guizot, dont l’un des plus célèbres occupants fut Prosper Mérimée, on a défini quels étaient les édifices à sauvegarder et qui seraient alors considérés comme notre patrimoine. La première loi de 1887 puis les grandes lois de 1913, relatives aux monuments historiques, ont définitivement attribué des critères de classement. On distingue alors le patrimoine architectural et les objets mobiliers. Afin de bénéficier d’un classement, une liste de critères a été dressée. Le caractère esthétique, historique ou artistique reflétant alors la particularité de notre société, se référant à un événement ou tout simplement à notre histoire, sera donc obligatoire, afin d’être considéré comme patrimoine. Le service des Monuments Historiques avait donc depuis pour mission, de classer et de sauvegarder l’ensemble des éléments correspondant à ces critères. Comme il a été évoqué plus haut, étant donné l'évolution de la notion de patrimoine au XXe siècle, il était devenu nécessaire de dresser un inventaire du patrimoine qui soit le plus exhaustif possible. Le patrimoine n’est pas seulement un monument historique, c’est également l’ensemble des édifices et objets présents sur tout le territoire français. Dans la lignée de la création du Ministère de la Culture en 1959, en 1964, André Malraux et André Chastel vont donc créer le Service de l’Inventaire général des richesses de la France afin, selon André Chastel, de dresser une liste de l’ensemble du patrimoine de la France, « de la cathédrale à la petite cuillère ».  Considéré comme pionnier, les missions principales de l’Inventaire sont de recenser, étudier, faire connaître et valoriser l’ensemble des richesses patrimoniales françaises, à l’aide d’une méthodologie et d’outils logistiques appropriés[5].

          La notion d'inventaire du patrimoine et des collections muséales est donc le fruit d'un long processus. Comme il a été mentionné précédemment, tous les musées n'avaient pas forcément de listes précises de leurs collections. Dresser un inventaire des collections est une tâche laborieuse et ce, peu importe la thématique qu'ils développent. Toutefois, il semblerait que de nombreux musées reportaient au fur et à mesure par écrit, les acquisitions, bien avant la labellisation Musée de France. Cette initiative émane de la volonté propre du conservateur ou de  l'administrateur de la structure.    

B/ L'Inventaire selon les normes de la labellisation Musée de France : une volonté d’uniformisation

          Les musées qui détiennent le label Musées de France, ont pour obligation de réaliser et mettre à jour l'inventaire global de leurs collections, qu'elles soient exposées au public ou conservées dans les réserves. Comme exposé en introduction, l'arrêté du 25 mai 2004[6], qui s'ajoute aux obligations de la Loi Musée de France, fixe « les normes techniques relatives à la tenue de l'inventaire du registre des biens déposés dans un Musée de France et au récolement ». La portée législative de ce texte est importante. En effet, réaliser l'inventaire des objets présents permet de donner un statut juridique aux collections et une propriété, ce qui n'était pas forcément le cas avant. L’intérêt, est de pouvoir déterminer la provenance d'un objet et de décrire l'ensemble de ses caractéristiques afin de lui donner une véritable « identité muséale ». On y inscrit toutes les acquisitions, tous les biens acquis à titre gratuit ou onéreux, les dépôts consentis, selon des principes d’identification, de numérotation et de marquage normalisés, et au plus tard le 31 décembre de l'année suivant l'acquisition. L'objet est alors photographié afin de garder une image de son état de conservation au moment de sa saisie[7].

          Les opérations d'inventaire sont réalisées sous la responsabilité du professionnel responsable des collections et sous la responsabilité du chef d'établissement. La personne morale, propriétaire des collections d'un Musée de France fait procéder en permanence au récolement des collections dont elle est propriétaire ou dépositaire, ce qui demande donc un travail permanent.

          Cet inventaire est réalisé grâce à un registre, comportant dix-huit colonnes, correspondant à dix-huit informations à remplir par objet, de sorte à écrire sa « carte d'identité » Ces informations ont été établies par la Direction des Musées de France du Ministère de la Culture et de la Communication. On retrouve les rubriques suivantes, le statut juridique, le mode et la date d'acquisition, le prix en cas d'achat, la description complète de l'objet  et son état de conservation. Toutes les informations que l'on peut trouver sur l'objet, sont à inscrire, même si parfois certaines peuvent être considérées comme anecdotiques. Cela permet d'avoir une identification complète de l'objet. L'inventaire des collections est parfois effectué de manière informatisée, grâce à une base de données crée à cet effet, ce que nous verrons un peu plus tard, mais qui ne change en rien l'ensemble des données à fournir pour l'identification de l'objet. L'inventaire est un document unique, infalsifiable, titré, daté et paraphé par le professionnel responsable des collections. Le registre est conservé dans les locaux du musée et une copie est déposée aux Archives[8].

          Il est possible de procéder à la radiation d'un objet dans l'inventaire ou bien de modifier son affectation. En effet, il peut y avoir un transfert de propriété ou une modification d'affectation entre deux musées. Toute liste n'est donc pas irréversible.

          Une étape importante du processus d'inventaire des collections est l''attribution d'un numéro d'inventaire à l'objet. En effet, afin que celui-ci ne soit pas confondu avec un autre, chaque objet a son propre numéro d'inventaire qui est, par la suite, inscrit à même celui-ci. La numérotation normalisée d'un bien comporte trois éléments séparés par des points. Le premier élément correspond à l'année d'acquisition et d'affectation de l'objet au Musée, le deuxième élément correspond au numéro d'entrée au musée de cet objet pendant l'année d'acquisition et enfin, le troisième élément correspond au numéro du bien dans l'année considérée (ex : 2014.1.2).

Après avoir rempli toutes les informations concernant l'objet, celui-ci est marqué selon des procédés qui ont été déterminés en amont par la Direction des Musées de France En effet, selon sa matière, l'objet sera marqué de façon indirecte, à l'aide d'une étiquette (c'est le cas pour le textile et les coiffes qui ont bénéficié d'une étiquette cousue), ou bien au crayon à papier ou à l'encre de chine après une couche de vernis ou encore à l'aide d'une puce RFID[9].

C/ Conduire un Inventaire : la nécessité d'établir une méthode de travail rigoureuse

          Démarrer une opération d'inventaire des collections nécessite de construire une méthodologie pensée à long terme. Une méthodologie de travail propre à chaque musée, selon les collections, le personnel attribué à cette tâche doit être décidée en amont. L'établissement d'un plan d'inventaire et de récolement est une étape essentielle avant de commencer le « terrain ». En effet, il faut déterminer quels seront les outils logistiques utilisés, quels personnels mobiliser et établir une planification de saisie des objets            

          Les musées labellisés Musées de France sont également tenus de procéder au récolement décennal de leurs collections, ce que la saisie complète de l'inventaire permet. La procédure de récolement consiste à vérifier sur pièce et sur place, l'ensemble des données d'un objet, sa présence, son état, sa localisation, la conformité de son inscription à l’inventaire. Parfois, on trouve dans les collections des objets qui ont soit disparu, soit dont on ne connaît pas la provenance. Il faut chercher à déterminer d'où ils viennent. Conformément à la loi, tout musée devra donc reprendre l'ensemble des fiches afin de vérifier l'état de ses collections dans dix ans. 

          Que ce soit pour procéder à un inventaire ou à un récolement, on constate que ces opérations prennent énormément de temps et mobilisent les personnels des services de conservation et de régie des œuvres, afin de respecter les délais fixés par la Direction des Musées de France. En témoigne l'allongement de fin de l'inventaire global des collections. En effet, les musées auraient normalement dû terminer leurs inventaires respectifs en juin 2014, mais la date a été repoussée, une première fois, à décembre 2015. Au delà, les musées auraient été exposés à des sanctions voire une suppression de leur labellisation. Cependant, au fil du temps, les délais se sont considérablement rallongés eut égard à la charge de travail qu’un inventaire minutieux représentait.

          La réalisation de l'inventaire mobilise donc les services et les agents au détriment d'autres missions, cependant il est intéressant de voir que ce temps peut également être utilisé autrement, dans un but de valorisation des objets. En effet, des objets fragiles ou très abîmés, ne pouvant être exposés, peuvent ainsi être mis en lumière, notamment par le biais des réseaux sociaux.

Je ne sais pas si mon vif intérêt pour l’inventaire des collections est palpable à la lecture de cet article, mais sachez qu’inventorier, moi, j’adore ça ! Alors, si vous avez besoin d’un coup de pouce pour terminer l’inventaire de vos collections ou bien procéder à leur récolement décennal, je peux vous aider !

A bientôt !

Emilie*

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[1] TOPCHA Virginie, La place des bases de données dans les musées nationaux, Mémoire de niveau I de l'INTD du Conservatoire National des Arts et Métiers de Paris, 2006, p. 16.

[2]POULOT D., Une histoire des musées de France- XVIIIe-XXe siècles, Paris, La Découverte, coll. « L'espace de l'Histoire », 2005, p. 10-32.

[3]GOB A., La muséologie, histoire, enjeux et développement, Paris, Armand Colin, 2014, p. 33-35.

[4]TOPCHA V. op. cit., p. 17-18.

[5] BADY J-P., CORNU M., LENIAUD J-M. NEGRI V. (coord.), 1913 Genèse d'une loi sur les monuments historiques - Mémoire des grandes lois patrimoniales, Paris, Ministère de la Culture et de la Communication, La Documentation française, 2013.

[6] Loi N° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux Musées de France ET Arrêté du 25 mai 2004 fixant les normes techniques relatives à la tenue de l’Inventaire du registre des biens déposés dans un Musée de France et au récolement

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[9]Se référer à l'outil Marquage des collections publiques : guide méthodologique et évaluation des produits et procédés de marquage, publié par le Ministère de la Culture et de la Communication en 2008.

*Article extrait en partie de Emilie LE GUINIEC, Inventaire et valorisation du patrimoine maritime dans les collections muséales : l’exemple du Musée de Fouras, Mémoire de M2 Pro Patrimoines, Musées, Multimédia, sous la dir. de T. Sauzeau, Université de Poitiers, 2015

Photographie : Andrew NEEL via Unsplash